La politique invisible : Une introduction à la communisation contemporaine – John Cunningham

Dans le sillage de la gauche organisée et de la disparition de l’identité propre de la classe ouvrière, la communisation offre un moyen paradoxal de remplacer le capitalisme ici et maintenant, tout en abandonnant les théories orthodoxes de la révolution. John Cunningham fait le point depuis le piquet de grève de la “grève humaine”.

    Tel que nous l’appréhendons, le processus d’instauration du communisme ne peut que prendre la forme d’un ensemble d’actes de communisation, de mise en commun de tel ou tel espace, de telle ou telle machine, de tel ou tel savoir.

    – Le Comité invisible, Appel, 2004[1]

La critique du capital et la spéculation sur la forme et le contenu du communisme semblent toujours osciller entre une science matérialiste historique d’une part et l’élaboration de nouvelles formes de subjectivité et d’affectivité d’autre part. Même Marx, pourtant infiniment plus familier en tant qu’analyste attentif du capital, a connu des moments d’abandon à la fouriériste lorsqu’il a tenté d’élaborer le contenu subjectif plus muable d’une société communiste. La dissolution du travail salarié me permettrait

    il m’est possible de faire une chose aujourd’hui et une autre demain, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, d’élever du bétail le soir, de critiquer après le dîner […][2].

Cela suggère une société dans laquelle s’établissent des circuits d’affectivité qui ne sont plus basés sur les exigences de la production de valeur – même si je préfère personnellement l’utopie communiste comme oisiveté à l’activité sans fin de Marx. Bien sûr, c’est l’un des rares cas où Marx parle au futur, laissant de côté le désordre de la transition du capitalisme. Récemment, une série de textes issus du milieu de la revue française Tiqqun – principalement Appel, Comment faire? et  L’insurrection qui vient – ont réintroduit cette question du contenu subjectif du communisme d’une manière qui pourrait restaurer un aspect spéculatif à la critique du capital[3]. Il ne s’agit pas de textes théoriques à proprement parler, mais plutôt de manuels d’inspiration pour l’élaboration de la communisation en tant que sécession subjective et conceptuelle à la fois du capital et de la gauche. Comme l’affirme Appel, “rien ne peut arriver qui ne commence par une sécession de tout ce qui fait croître ce désert”[4]. Cette distance discursive par rapport aux positions plus traditionnelles de l’ultra-gauche sur la communisation se reflète également dans une prose dense et poétique qui établit une affinité avec d’éventuels précurseurs de la révolte tels que Dada, le surréalisme et Bataille. Le développement de la thèse de la communisation au sein de l’ultra-gauche a toujours fait partie d’une tentative de s’éloigner des formes programmatiques traditionnelles du parti et du syndicat pour s’engager dans des formes de résistance issues de manière immanente de la relation sociale du capital, telles que les grèves sauvages. Quel pourrait être l’enjeu d’une reformulation de la question de la communisation en tant que sécession subjectiviste radicale contre les formules idéologiques souvent discréditées des milieux anticapitalistes ?

Il est préférable d’examiner cette question parallèlement à la série de textes présentés par Endnotes qui documentent habilement l’élaboration continue de la communisation au sein de l’ultra-gauche française en présentant une série de textes de Gilles Dauvé et de Théorie Communiste[5]. Tous deux sont enracinés dans les divers groupuscules de l’extrême-gauche française des années 1970 qui partageaient une fidélité à 1968 dont Debord et les Situationnistes restent les plus connus[6]. Dauvé et Théorie Communiste conservent un engagement en faveur de la communisation mais divergent fortement sur les questions de l’agence et de l’histoire. Ce qui reste sous-théorisé à la fois dans le marxisme humaniste de Dauvé et dans le structuralisme marxiste formulé plus récemment par Théorie Communiste, c’est une véritable problématisation de la production de la subjectivité au sein du capital. L’insertion de cette question pourrait éclairer l’impasse dans laquelle se trouvent ces critiques théoriques plus hermétiques du capital. En esquissant les contours des théories contemporaines de la communisation, une constellation composée de questions autour de la subjectivité, de la négation, de l’histoire et de l’utopie émerge. Une reconsidération de la communisation ouvre-t-elle de nouvelles perspectives et d’autres possibilités, étant donné l’écart entre l’espace exigu dans lequel se trouvent les milieux révolutionnaires et toute attente réelle de changement radical ? Ou bien discuter de la communisation à l’heure actuelle revient-il à gratter un mal de dents avec un ongle, utopie inutile face à la relation sociale du capital en constante mutation ?

Mais avant de répondre à cette question, qu’est-ce que la communisation ? Le terme évoque immédiatement diverses expériences sociales et tentatives révolutionnaires, depuis la Commune de Paris et les communautés socialistes utopiques du XIXe siècle jusqu’à diverses tentatives contre-culturelles de reconstituer les relations sociales sur une base plus communautaire, comme la scène des squats dans les années 1970 et 1980. Le groupe Tiqqun – qui sera désormais connu sous le nom de Comité Invisible, d’après les signataires éponymes de L’insurrection qui vient – s’appuie sur cette longue histoire d’antagonisme sécessionniste. Ils considèrent que la communisation est essentiellement la production, par la formation de “communes”, de formes collectives de subjectivité radicale. Cela déstabilise la production de subjectivité et de valeur au sein du capital et des formes plus traditionnelles d’organisation politique, conduisant finalement à une rupture insurrectionnelle. Dans ce cas, la “commune” n’est pas nécessairement une bande de hippies aspirant à un mode de vie sans carbone. Dans L’insurrection qui vient, une commune est presque tout ce qui “cherche à briser toute dépendance économique et tout assujettissement politique”, depuis les grèves sauvages jusqu’à Radio Alice à Bologne en 1977, en passant par d’innombrables autres formes d’expérimentation collective[7].

Sans être complètement à côté de la plaque, cette compréhension risque d’occulter la spécificité de la “communisation” en tant que concept et forme de praxis qui, comme l’indiquent les Endnotes, a émergé dans le milieu de l’ultra-gauche post-soixante-huitarde, puis plus tard dans l’anarchisme insurrectionnel par l’intermédiaire d’Alfredo Bonnano. Une définition minimale de la communisation serait, comme Dauvé et François Martin l’ont écrit en 1972 dans une première formulation, la suivante :

    Le communisme n’est pas un ensemble de mesures à mettre en pratique après la prise du pouvoir […]. Tous les mouvements passés ont su immobiliser la société et ont attendu que quelque chose sorte de cet arrêt universel. La communisation, au contraire, fera circuler les biens sans argent […] elle tendra à briser toutes les séparations[8].

Cette destruction simultanée de la production de valeur et la transformation complète des relations sociales en tant que processus révolutionnaire immanent présupposent la négation du travail salarié. Le prolétariat, au lieu de s’incarner dans le travail et sa valorisation, que ce soit par le biais du travail salarié ou des organisations ouvrières, devient l’agent de l’auto-abolition. La communisation signifierait qu’il n’y a plus de prolétariat immédiatement, pas après une période interminable de gestion de l’État prolétarien ou du conseil ouvrier.

Pour Dauvé, qui écrit ici avec Karl Nesic, la communisation est le résultat potentiel de l’opposition dialectique entre le travail vivant et l’agence inhumaine du capital. Comme il l’affirme :

Le sujet et l’objet n’existent pas séparément. Une crise n’est pas quelque chose d’extérieur à nous qui se produit et nous oblige à réagir. Les situations historiques (et les opportunités) sont aussi faites de […] nos actions ou inactions[9].

Dauvé rejette le déterminisme théorique en faveur d’une trajectoire historique indéterminée plus réaliste, où les seuls invariants au sein du capital sont l’humanité, l’aliénation, l’exploitation et la résistance. Pour Dauvé, la communisation est une possibilité depuis 1848, contrairement à la périodisation stricte de Théorie Communiste.

La position de Théorie Communiste est qu’en raison du passage de la production à une seconde phase de subsomption réelle, après les années 1960, le capital et la force de travail sont imbriqués dans un circuit reproductif[10] La communisation en tant qu’auto-abolition du prolétariat n’est qu’aujourd’hui un horizon possible en raison de la dissolution des partis et des syndicats organisés et programmatiques de la gauche traditionnelle. Leur dévoilement au 20ème siècle, en tant que gestionnaires nécessaires de la production de valeur, a ensuite conduit à l’incapacité du prolétariat à constituer une opposition au capital à travers leur auto-identification en tant que travailleurs. Dépouillé de tout sens d’agence et de subjectivité volontariste, il ne reste que le fait d’une exploitation structurelle et d’une prolétarisation croissante qui peut éventuellement conduire à la communisation. Cette synthèse dialectique sans réconciliation était impossible dans les phases précédentes du capital où la révolution était inexorablement liée au travail et à la production de valeur.

Mettre entre parenthèses la question de l’action politique et de la subjectivité en faveur du structuralisme historique, en disant adieu à la multitude et à d’autres formes spectrales, est une dose bienvenue d’anti-humanisme. Cependant, Théorie Communiste semble trop désireux d’éliminer toute action subjective de la politique d’opposition. Il y a un pessimisme sous-jacent à leur évacuation de toute possibilité dans l’histoire qui est une inversion du paradigme marxiste social-démocrate classique du 20ème siècle d’un mouvement inexorable vers le communisme. On accorde trop d’importance au mouvement de l’histoire vers une réelle subsomption du capital plutôt que d’évaluer l’histoire comme étant composée de ruptures, de fractures et d’événements discontinus. L’un d’entre eux pourrait être la Commune de Paris.

Au cours de sa brève existence, la Commune préfigure de nombreux thèmes du discours contemporain sur la communisation en tant que processus immanent de tentative de construction d’une sphère publique non étatique et en tant qu’explosion insurrectionnelle qui a rompu avec la lente progression du capitalisme marchand du 19e siècle. Marx a compris que “toute l’imposture des mystères et des prétentions de l’État a été supprimée par une Commune, composée pour l’essentiel de simples travailleurs” et que l’objectif de la Commune était “l’expropriation des expropriateurs”, la dissolution des classes et de la propriété[11] Si la Commune était avant tout politique, elle indiquait pour Marx la nature entrelacée du changement révolutionnaire, abolissant la séparation entre l’économique et le politique et, à certaines conjonctures, étant liée à la force insurrectionnelle. Pour Marx, la “grande mesure sociale de la Commune était sa propre existence laborieuse”, mais il pensait qu’elle faisait un geste vers l’émancipation sociale dans les mesures limitées (telles que l’appropriation d’ateliers désaffectés) qu’elle avait pu entreprendre au cours de sa brève existence[12]. Il a écrit que “… le soulèvement actuel à Paris – même s’il est écrasé par les loups, les porcs et les viles malédictions de l’ancienne société – est l’acte le plus glorieux de notre Parti….”[13].

L’”image dialectique” de Benjamin, la juxtaposition du passé et du présent afin de briser l’image figée et réifiée des deux, permet de s’interroger sur les ressources qu’un événement comme la Commune de Paris pourrait offrir au présent[14], sans poser l’existence d’un sujet humain invariant, mais en (ré)examinant le passé à la lumière du présent et en redonnant une actualité et une potentialité à l’histoire. Par exemple, Badiou a lu la Commune de Paris comme “ce qui, pour la première fois et jusqu’à ce jour seulement, a rompu avec le destin parlementaire des mouvements politiques populaires et ouvriers”, établissant un modèle pour “une déclaration de rupture avec la gauche”[15] Badiou y voit un modèle à la fois pour une intervention subjective contre le capital et pour un communisme soustrait à l’État. Le Comité Invisible fait constamment référence à la Commune de Paris d’une manière similaire, en faisant des juxtapositions suggestives tout au long de L’insurrection qui vient. La Commune de Paris est présente dans le texte comme un rappel constant de la barbarie sur laquelle la république française est fondée, la “tradition des opprimés” qui est trop facilement effacée par le continuum vide de l’histoire comme la marche en avant du capital[16].

Théorie et pratique formées dans le sillage encore tumultueux des grèves sauvages de mai 68 – le refus du travail, la prolifération des groupuscules de gauche – et conditionnées par cet événement, la communisation postule une escalade de la destruction de la production marchande comme une rupture millénaire. De tels concepts, nés d’une conjonction particulière de forces et de conditions matérielles, peuvent facilement se réduire à une idéologie ou, au mieux, à une idée régulatrice qui n’a pas grand-chose à voir avec la lutte sociale réelle dans le présent, une fois que ce moment est passé. Toutes ces théories différentes de la communisation émergent du sentiment d’un espace discursif et politique exigu. Après 1968, cet espace exigu peut être considéré comme les limites trop évidentes du mouvement ouvrier traditionnel, en particulier du parti communiste et de ses syndicats affiliés, qui ont contribué à la répression des événements par l’État, parallèlement, bien sûr, à la marchandisation des relations sociales. En termes d’élaboration continue de la communisation dans le présent, un tel espace exigu, étant donné la faiblesse de la gauche institutionnelle, pourrait être composé du mouvement “anticapitaliste” post-Seattle lui-même, ou du moins de ses vestiges. Ce mouvement a donné naissance à ce que Le Comité invisible décrit, dans Comment faire? comme les “manifestations qui tuent le désir” qui “ne démontrent plus rien d’autre qu’une absence collective”[17].

Cette “absence collective” n’est pas tant un manque d’organisation pour le Comité Invisible qu’une pléthore de formes organisationnelles qui servent à détourner l’antagonisme vers des impasses réformistes ou activistes, en construisant des milieux qui se préoccupent de leur propre perpétuation en tant que structures organisationnelles fétichisées. Au mieux, elles tentent un conflit symétrique avec le capital plutôt que des tactiques plus asymétriques de retrait, de diffusion et de sabotage. Pour moi, cette “absence collective” dans les formes contemporaines d’activisme et de militantisme n’est que trop apparente dans ces idéologies contraintes, telles que les politiques identitaires qui dominent une grande partie de la politique “radicale” contemporaine. Ainsi, l’anticapitalisme contemporain est truffé d’un moralisme anarchiste, écologique et socialiste ridicule qui se masque comme une politique. Cette critique du militantisme est préfigurée par l’observation de Dauvé et Martin, au début des années 1970, selon laquelle “le mouvement communiste est antipolitique et non a-politique”. Dauvé et Martin considèrent le communisme comme intrinsèquement social et immanent au capital, tout en rejetant le rôle traditionnel du militant qui “interfère dans ces luttes pour apporter l’évangile communiste”[18] C’est ce volet anti-politique, la négation des formes politiques contemporaines ou ce que Jacques Camatte a appelé les “rackets”, que je trouve le plus constructif, d’une manière destructive, dans les théories de la communisation[19].[Nick Thoburn, dans son livre Deleuze, Marx and Politics, soutient que les espaces politiques et discursifs exigus, composés à la fois de formes organisationnelles traditionnelles et de capital en tant que relation sociale, sont productifs de tentatives innovantes pour réassembler des lignes de fuite à partir des ressources disponibles. Ces tentatives dégagent un espace et permettent l’articulation de revendications précédemment ignorées et la formation de subjectivités oppositionnelles[20]. Ou plus succinctement, tous les courants de la communisation tentent de dissoudre le travailleur en tant que travailleur dans un sujet antagoniste plus diffus.

L’assemblage complexe d’ultra-gauchisme et de théorie situationniste du Comité Invisible a justement pour objectif de produire de nouvelles formes de subjectivité politique, Agamben et Foucault jouant un rôle central sur le plan théorique. Inspirer la communisation sécessionniste semble être un destin étrange pour Agamben, un philosophe qui est surtout connu pour le cadrage mélancolique de la subjectivité contemporaine dans les paramètres de la ” vie nue “, le résidu passif du sujet humain sous la souveraineté biopolitique[21] La réduction de l’humanité, par le biais de la souveraineté politique, à des classes, des identités et des sujets tels que le citoyen, le travailleur ou le migrant est essentiellement basée sur l’exception qu’est la ” vie nue “. À l’opposé, le concept d’Agamben de ” forme de vie ” ou de ” singularité quelconque ” est utilisé par Le Comité invisible pour suggérer une subjectivité politique qui n’est pas contenue dans les paramètres de la ” vie nue ” et d’un sujet identifiable[22], comme ils le notent : ” Je deviens une singularité quelconque. Ma présence commence à déborder tout l’appareil des qualités qui me sont habituellement associées “[23] Cela semble ésotérique, mais il convient de souligner la relation explicite à la force de travail que la ” singularité quelconque ” conserve dans son élément de refus du rôle de travailleur. Agamben écrit que la “forme de vie” est

    une vie […] dans laquelle les différentes manières, les actes et les processus de la vie ne sont jamais simplement des faits, mais toujours et avant tout des possibilités de vie, toujours et avant tout un pouvoir[24].

Dans ce cas, il s’agit du pouvoir, ou Potenza, de refuser le travail salarié et donc de contester l’extraction de la valeur du travail vivant. Cet “exode irrévocable de toute souveraineté” est une émancipation de la production de valeur vers les potentialités d’une inséparabilité entre l’activité et le sujet[25].

Ce sujet politique collectif inopérant prend la forme de la “grève humaine” dans le subjectivisme radical du Comité Invisible. Dans Comment faire? la “grève humaine” est le point où le sujet humain tel qu’il est constitué au sein du capital s’effondre et refuse ou cesse simplement de fonctionner, un “luddisme de la machinerie humaine qui alimente le capital”[26] Il s’agit d’un refus à la Bartleby qui répond à la (re)production de la subjectivité au sein du capitalisme contemporain dans l’ensemble du champ social en valorisant la négativité et le dysfonctionnement.  L’insurrection qui vient met en exergue un slogan publicitaire, “I AM WHAT I AM”, et note sarcastiquement mais avec justesse, “Jamais la domination n’a trouvé un slogan au son aussi innocent”[27] Un individualisme qui est la subsomption des qualités affectives dans les circuits du capital. L’individu n’est rien d’autre que les effets résiduels d’une incorporation d’identités promulguées à travers les appareils de production, de consommation et de loisir. La réelle subsomption de l’humain par le capital présentée dans L’insurrection qui vient commence à ressembler à une mauvaise journée passée à faire la navette entre son domicile et son lieu de travail. Cette production de subjectivité est ce que Foucault a appelé la “gouvernementalité”, dans laquelle le pouvoir n’est pas seulement répressif et disciplinaire, mais crée également les conditions de la production de valeur, en encourageant des formes de subjectivation qui canalisent la créativité et l’identification affective vers la valorisation du capital[28].

Comme le souligne Théorie Communiste, ce qui produit un blocage dans l’humanisme marxiste de Dauvé, c’est une vision de la subjectivité au sein du capital comme quelque chose de purement produit par la répression d’une humanité invariante. Certes, cet humanisme marxiste a toujours une portée radicale en ce qui concerne la libération de la potentialité de l’humain en dehors de la relation salariale, mais il y a peu de problématisation des formes de subjectivité. Cependant, en essayant d’adopter un anti-humanisme rigoureux, Théorie Communiste tombe dans le piège d’évacuer toute notion d’agence subjective comme étant un romantisme mou en faveur de la détermination économique. Cela renforce la nature hermétique d’une telle critique, relativement éloignée des expériences de la vie quotidienne.

Rien de tout cela n’est un problème particulièrement nouveau, étant donné la prolifération des théories de la subjectivité radicale depuis au moins György Lukács, mais Le Comité invisible reformule cette critique d’une manière qui restaure une appréhension sensuelle de ce qui pourrait être en jeu dans toute forme de politique oppositionnelle. L’image d’une prolifération de communes comme ” un pouvoir de production ” qui ” n’est qu’accessoirement des relations de production ” établit ce qu’il convient d’appeler une production désirante[29], qui naît d’assemblages d’espaces, de connaissances, de moyens, de corps et de désirs communisés qui établissent un refrain entre eux, déplaçant le collectif sécessionniste du capital et de ces identités telles que le ” travailleur ” ou le ” migrant ” qui y sont fixées. Cela pourrait produire un blocage dans les flux de production de valeur en tant qu’information et marchandise dans ce que le Comité Invisible, s’inspirant à nouveau d’Agamben, théorise comme la ” métropole ” ; le non-lieu indifférencié et tentaculaire du capital biopolitique contemporain[30]. Ce processus de blocage est exprimé dans L’insurrection qui vient de la manière suivante :

    L’infrastructure technique de la métropole est vulnérable […]. Aujourd’hui, saboter réellement la machine sociale implique de se réapproprier et de réinventer les moyens d’interrompre ses réseaux[31].

Cette production simultanée de subjectivité et de perturbation de la production de valeur fait-elle de “l’être quelconque” une nouvelle forme d’action politique ? En tant que modèle d’une utopie fouriériste actualisée, ou même en tant qu’allégorie de la production d’une politique oppositionnelle, cela semble correct, mais les communes forment une organisation fantôme insurrectionnelle, une machine de pilotage qui est plus ou moins organiquement formée par l’acte de sécession, constituant une avant-garde de mécontents et de personnes volontairement déplacées. Un aristocratisme résiduel émerge à côté d’un avant-gardisme fantôme qui se révèle dans la formulation : “Faire comprendre aux citoyens paralysés que s’ils ne rejoignent pas la guerre, ils en font de toute façon partie”[32] Ces communes qui, pour le Comité Invisible, sont immanentes au présent mais non formalisées, englobent un grand nombre d’espaces et de collectivités, du prolétariat à la contre-culture en passant par l’illégalité. Squats, grèves sauvages, émeutes, collectifs ruraux, tout groupe de mécontents ou d’exclus se (ré)appropriant le quartier. Dans le meilleur des cas, cela entraîne une diffusion virale involontaire de la désaffiliation communautaire et subjective du capital en tant que relation sociale. Dans le pire des cas, ils finissent par partager la thématique insurrectionnelle du renoncement volontaire et du refus conscient. Pour moi, cela perd quelque chose de la négativité de la “grève humaine” plus primordiale à laquelle il a été fait allusion, qui refuse autant comme une réaction involontaire à des relations sociales insupportables que par un acte conscient de volonté. L’importance de la “grève humaine” rétablit l’actualité de la manière dont la dépression, par exemple, peut fonctionner à la fois comme un signe de vulnérabilité et comme un lieu de résistance. Comme le note  L’insurrection qui vient, ” la dépression n’est pas un état mais un passage, une révérence, un pas de côté vers une désaffiliation politique “[33] Plutôt que l’insurrection, c’est cette prise de conscience qui distingue de la manière la plus productive le Comité Invisible des milieux radicaux plus conventionnels. Ce que Camatte appelait la subsomption réelle et la domestication de l’humain par la communauté du capital se transforme ici en formes spéculatives de résistance[34].

L’insurrection qui vient a eu la distinction douteuse d’avoir atteint les hauteurs exaltées de Fox News avec un texte vantant la communisation, en raison de la controverse qui a suivi l’affaire des 9 de Tarnac en France. Confirmation ironique de l’attachement du Comité Invisible à la notion de spectacle de Debord, c’est aussi la preuve que l’hystérie de l’insurrectionnalisme projeté est plus que comblée par l’hystérie du spectacle. Cet engagement du Comité Invisible en faveur de l’insurrectionnalisme souligne la valeur des évaluations plus sobres de Dauvé et de Théorie Communiste. Dans un engagement équilibré avec Appel, Dauvé écrit qu’il manque “une analyse du mouvement social actuel, des luttes, des retraites et des résistances au monde du travail salarié, des grèves, de leur apparition, de leur échec fréquent, de leur absence parfois […]”[35] Cette critique de la sécession est bien fondée et c’est cette conscience très matérielle de l’instauration du capital en tant que relation sociale qui manque dans les exhortations plus volontaristes en faveur de l’insurrection. Il existe ici une corrélation avec la théorie postautonomiste de l’exode formulée par Paolo Virno en tant que stratégie de refus et de rupture subjective avec le capital. Cela peut donner lieu à une négation théorique préventive de tout rôle de travailleur, suspendant le fait que pour la plupart des gens, un travail de merde est une nécessité et que le seul exode est le week-end[36].

Néanmoins, la réinscription d’une agence politique en tant que négation est rafraîchissante si on la compare à l’inclusivité de concepts tels que la “multitude” de Negri. Elle s’inscrit dans une ligne de nihilisme actif qui imprègne la production théorique du Comité Invisible. Contrairement à Negri, où un tel tournant affectif du capital est plein de possibilités immanentes, la production de la subjectivité au sein du capital contemporain est présentée comme faisant partie de la destruction de l’expérience, ce que Call appelle “le désert”. Presque rien n’échappe à cette ligne de négation qui va de la micro-politique d’un “libéralisme existentiel” qui produit l’individu à toutes les formes de politique, y compris l’anticapitalisme. Le ” désert ” est une forme de nihilisme passif qui reproduit sans fin la valeur d’échange, le désastre obscur de ce que Benjamin et, à sa suite, Agamben ont conceptualisé comme l’évacuation de l’expérience par le choc et la vacuité de la marchandise[37].

La réponse du Comité Invisible est d’accélérer ce nihilisme par une série d’inversions telles que la valorisation des gangs et de l’illégalisme – une accentuation de l’anti-socialité du capital contemporain. A ce titre, ils s’inscrivent dans un courant de l’anarchisme français qui va de la bande à Bonnot aux Situationnistes en passant par Os Cangaceiros. Ces derniers, un groupe d’illégalistes prolétariens post-soixante-huitards, ont rejeté la politique de gauche et ses variantes de lutte armée en faveur de tactiques telles que le sabotage des chemins de fer en solidarité avec les révoltes des prisons. Ou, comme ils l’ont dit succinctement, “de chier sur ce monde avec ses prisons”[38].  Il y a toujours un risque avec un tel illégalisme qu’il réifie quelque chose comme la culture des gangs dans une simple inversion de l’hystérie spectaculaire, mais au moins l’évocation par  L’insurrection qui vient de la révolte de novembre 2005 dans les banlieues redonne un sens d’action à ce qui était régulièrement décrié comme des actes criminels au sein de la politique dominante. Dans le texte assez ancien de Tiqqun, Thèses sur le parti imaginaire, cet illégalisme s’étend aux actes de violence aléatoires produits par les formes subjectives du capitalisme marchand spectaculaire et son évacuation par des fusillades, des suicides, etc.[39] Cet aspect est très certainement une provocation d’avant-garde similaire au simple acte surréaliste de Breton consistant à tirer dans la foule, bien qu’il ne soit pas nécessairement voulu à la légère ; en effet, il généralise le sens de la crise que Le Comité invisible souhaite instiller. Dans un commentaire oblique, Agamben fait référence à ce nihilisme actif comme ” l’irréparable qui permet l’avènement de la rédemption “, une ouverture messianique vers des formes d’action politique qui refusent les exigences de la souveraineté politique[40] Un tel nihilisme actif pose une destruction joyeuse comme nécessaire pour rompre avec l’immersion de la société contemporaine dans la forme marchandise. L’insurrection qui vient note que “[L’anéantissement de ce néant n’est pas une triste tâche […]” et que “le foutage de gueule servira […] de dernière séduction collective”[41] En embrassant cela, ils se connectent, via une rhétorique punk, aux impulsions destructrices des avant-gardes politiques et artistiques du 20e siècle[42].

Quelle relation ce nihilisme actif peut-il avoir avec la violence économique plus générale de la communisation en tant que suspension et destruction de la production ? La communisation, sous quelque forme que ce soit, semble toujours prise dans une tension entre une supersession immanente du capital, la prolifération graduelle des luttes qui brisent les limites du parti, de l’autogestion et de l’organisation sur le lieu de travail, et la rupture radicale, l’institution de ce que Benjamin a appelé ” l’état réel d’exception ” en opposition à l’état d’exception imposé par la souveraineté de l’État[43]. Ce double rythme de la communisation est parallèle à la tension qui est évidente, dans toute tentative de la théoriser et de la pratiquer dans le présent, entre une activité subjective et une analyse plus objective du capital. Le concept de Gewalt de Marx pourrait être un bon moyen de saisir l’imbrication des différentes formes de force et de pouvoir au sein de la communisation. Luca Basso lit Gewalt, un terme complexe qui signifie à la fois violence et pouvoir, comme étant présent dans la formulation de Marx de la violence originelle du capital en tant qu’accumulation primitive, une violence qui est répétée politiquement par l’État sous la forme de l’imposition du travail salarié. Il cite Étienne Balibar qui la caractérise comme “la violence de l’économie, l’économie de la violence”, la violence étant immanente au capital en tant qu’exploitation[44].

Les tentatives de formuler la communisation contestent cela en posant un Gewalt oppositionnel qui romprait avec le capital politiquement et économiquement. Étant donné la Gewalt quotidienne du capital contemporain, il n’est pas surprenant qu’il y ait des tentatives de formuler des projets de sécession qui, même s’ils sont voués à l’échec, semblent nécessaires en tant qu’espaces de respiration. Présentée comme un projet insurrectionnel, cette sécession est un peu optimiste quant à ses chances d’échapper au capital, et encore moins de le vaincre. Simultanément, l’analyse théorique de Théorie Communiste et de Dauvé/Nesic semble manquer de la conjonction nécessaire d’événements pour en faire autre chose que des interventions potentielles. Le pessimisme face à la capacité d’adaptation du capital contemporain serait probablement la meilleure approche, mais un pessimisme tempéré par une conscience des possibilités subjectives et théoriques offertes par les différentes théories de la communisation. Benjamin a écrit que “le caractère destructeur ne voit rien de permanent.Mais c’est justement pour cette raison qu’il voit des chemins partout”[45]. Peut-être que dans cette figure allégorique complexe réside quelque chose comme la valeur d’usage de théories telles que la communisation.

Traduit du français par Artun

[1] Anonyme, Call, 2004, Royaume-Uni, pas d’impression, p.66. PDF disponible ici : http://zinelibrary.info/call

[2] Karl Marx et Frederick Engels, L’idéologie allemande, Londres : Lawrence and Wishart, 1996, p.54.

[3] Tiqqun était une revue française publiée entre 1999 et 2001. Le terme est la translittération française d’un mot hébreu/kabbalistique signifiant rédemption, une référence évidente au modèle de politique messianique influencé par Benjamin et Agamben auquel ce courant de communisation souscrit. Il y a eu deux numéros et des livres associés tels que Théorie du Bloom, Théorie de la Jeune Fille et des textes ultérieurs tels que The Coming Insurrection. D’autres documents sur Tiqqun et d’autres sujets connexes sont disponibles sur les sites suivants : http://www.tiqqun.info/ ; http://www.bloom0101.org/tiqqun.html ; http://www.bloom0101.org/translations.html . Un bon article sur l’affaire Tarnac 9 et la controverse autour de The Coming Insurrection est “The War Against Pre-Terrorism” d’Alberto Toscano, disponible à l’adresse suivante : http://slash.interactivist.net/node/11805.

[4] Call, op. cit. p.33.

[5] Endnotes, Brighton, Royaume-Uni, 2008. Pour les textes et les détails de commande, voir : http://endnotes.org.uk/ . L’introduction est un excellent compte-rendu de la généalogie de la communisation dans l’ultra-gauche française, bien qu’elle ne s’engage pas avec Tiqqun.

[6] Pour plus de détails sur le milieu d’où est issue la communisation, cet entretien avec Giles Dauvé est utile : http://www.riff-raff.se/en/7/ gd_corr.php

[7] The Invisible Committee, The Coming Insurrection, Los Angeles : Semiotext(e), 2009. Récemment publié par Semiotext(e), ce livre circule sur l’internet depuis un certain temps et est également disponible ici : http://tarnac9.wordpress.com/texts/the-coming-insurrection/. Les références de page renvoient à la version publiée (p.102).

[8] Gilles Dauvé et François Martin, The Eclipse and Re-Emergence of the Communist Movement, Londres : Antagonism, 1997, p.36. Publié à l’origine en 1974 par Black and Red, Detroit, USA.

[9] Dauvé et Nesic, “Love of Labour, Love of Labour Lost…” in Endnotes, op. cit. p.152.

[10] Voir “Much Ado About Nothing” dans Endnotes, ibid, p.155 et la postface dans Endnotes pour des détails sur la position que Théorie Communiste adopte envers Dauvé et leur élaboration de la communisation à partir des conditions de la “subsomption réelle” contemporaine. Riff-Raff 8 contient également une bonne série de textes autour de TC 11. Voir http://www.riff-raff.se/en/8/at

[11] Karl Marx, La guerre civile en France, Pékin : Foreign Languages Press, 1977, p.176 ; pour l’expression “expropriation des expropriateurs”, p.75.

[12] Marx, ibid, p.81.

[13] Marx au Dr Kugelman [Londres] 12 avril 1871, texte disponible ici : http://www.marxists.org/archive/marx/works/1871/letters/71_04_17.htm

[14] Voir Walter Benjamin, “Thèses sur la philosophie de l’histoire” dans Walter Benjamin, Illuminations, Londres : Harper Collins, 1992, p.245.

[15] Alain Badiou, Polémique, Londres : Verso, 2006, pp.272-273.

[16] L’insurrection qui vient, op. cit. p.88 et p.130. Un autre lien suggestif se trouve dans le texte “À un ami”, dans lequel le révolutionnaire du 19e siècle Auguste Blanqui est présenté comme un “personnage conceptuel” inspirant, contenant la potentialité inachevée du passé. Le texte est disponible ici : http://libcom.org/history/auguste-blanqui

[17] Tiqqun, Comment faire, 2008, http://www.bloom0101.org/translations.html

[18] Dauvé et Martin, op. cit. p.39.

[19] Jacques Camatte, “De l’organisation”, dans This World We Must Leave, New York : Autonomedia, 1995, p.19. Camatte est un précurseur important d’une grande partie de l’antipolitique du Comité Invisible, à la fois par son rejet du radicalisme orthodoxe et par la tendance à la sécession qu’il a exprimée en s’orientant vers le primitivisme. Étant donné qu’il a commencé comme un adepte d’ultra-gauche de Bordiga, Camatte pourrait être le chaînon manquant entre les différents courants de la communisation.

[20] Nicholas Thoburn, Deleuze, Marx and Politics, Londres : Taylor and Francis, 2003.

[21] Georgio Agamben, Homo Sacer, Stanford, CA : Stanford University Press, 1998.

[22] Georgio Agamben, Means Without End, Minneapolis : University of Minnesota Press, 2000, p.3.

[23] Comment faire, op. cit. p.5.

[24] Giorgio Agamben, “Form-of-Life”, in Paolo Virno et Michael Hardt eds, Radical Thought in Italy : A Potential Politics, Minneapolis, MN : University of Minnesota Press, 1996, p.151.

[25] Lorsqu’Agamben parle de pouvoir dans ce contexte, il a plus en commun avec le terme italien Potenza, généralement lié à un sens de potentialité qu’à la force ou à la violence en tant que souveraineté.

[26] Comment faire, op. cit. p.16.

[27] L’insurrection qui vient, op. cit. p.31.

[28] Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, New York : Palgrave Macmillan, 2007, p.184-85

[29] Call, op. cit. p.67.

[30] Voir http://www.generation-online.org/p/fpagamben4.htm

[31] L’insurrection qui vient, op. cit. p.111.

[32] Comment faire, op. cit. p.17.

[33] L’insurrection qui vient, op. cit. p.34.

[34] Camatte, op. cit. p.39.

[35] Dauvé et Nesic, alias Troploin, ont publié ce texte en réponse à la publication initiale de Call, l’un des rares exemples, à ma connaissance, de communication ouverte entre les théoriciens de la communisation post-68 et leurs descendants ultérieurs autour de Tiqqun. Merci à Adeline Mannarini pour la traduction. Voir http://troploin0.free.fr/ii/index.php/textes/19-communisation-un-appel-et-une-invite . Julian Coupat, l’un des fondateurs de Tiqqun, a récemment déclaré que “l’ultra-gauche est un courant politique qui a connu son heure de gloire dans les années 1920 et qui, par la suite, n’a jamais produit autre chose que des volumes inoffensifs de marxologie”. Cela ressemble à une tactique d’avant-garde classique de rupture avec les précurseurs, bien qu’il y ait des différences indéniables. L’interview est disponible ici : http://www.notbored.org/julien-coupat.html

[36] Paolo Virno, “Virtuosité et révolution : The Political Theory of Exodus” dans Virno & Hardt, op. cit. pp. 189-213.

[37] Benjamin, op. cit. notamment ” The Storyteller “, p.83 et ” On Some Motifs in Baudelaire “, p.152 ; et Agamben, Infancy and History, London : Verso, 2007, p.13.

[38] Os Cangaceiros, A Crime Called Freedom, Portland : Eberhardt Press, 2006, p.85.

[39] Voir http://libcom.org/library/theses-imaginary-party

[40] D’après le post-scriptum d’Agamben à l’édition italienne de la Communauté en devenir, publié en 2001 : http://notesforthecomingcommunity.blogspot.com/2008/04/tiqqun-de-la-noche.html

[41] L’insurrection qui vient, op. cit. p.112.

[42] Voir “Le problème de la tête”, http://libcom.org/library/problem-head , un texte de Tiqqun qui éclaire leur relation avec les avant-gardes, du surréalisme aux Brigades rouges.

[43] Walter Benjamin, Selected Works, Volume 1, Cambridge, MA : Belknap/ Harvard, 1996, p.236.

[44] Luca Basso, “The Ambivalence of Gewalt in Marx and Engels : On Balibar’s Interpretation’ in Historical Materialism 17 (2009), p.220.

[45] Walter Benjamin, Selected Works, Volume 2, Cambridge, MA : Belknap/ Harvard, 1999, p.541.


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